Le père Favre connaît la prison du Pax à ANNEMASSE, du 3 au 6 février 1944, sous le n°86 de la liste.
Il est ensuite transféré à l’Ecole St François d’ANNECY, sous la coupe des SS. Il va y rester du 6 mars au 13 juin dans le cachot n°5, qu’il partage avec Millet.
Après le 13 juin, et la mort de MILLET, il est emmené au Château d’Annecy, puis à la prison départementale jusqu’au 16 juillet 1944.
A St François à Annecy, le Père Favre est enfermé au fond de la cave. On le laisse réfléchir longuement dans ce tombeau où n’entre jamais la lumière, où l’air est rare et vicié. Quand il revient au jour, c’est pour être livré à son tortionnaire : Robert Kempf. Pour la circonstance, ce dernier a convoqué un véritable conseil de guerre. Sur la table, où s’étalent les armes d’usage,il y a tout l’attirail traditionnel, mais aussi les pièces à conviction, un suisse traître de son pays, et la femme blonde toujours, elle, et aussi souriante sont aussi présents.
Le verdict ne se fait pas attendre. L’arrêté doit être signé déjà. En face du nom du Père Favre, figure la lettre : Rûckkerrunerwunscht, c.-à-d. retour non désiré ou à exécuter, mais beaucoup plus tard.
Il faut qu’il parle, il doit parler. Il en sait trop pour rester muet. Tout y passe, le chevalet du supplicié... le nerf de bœuf... l’asphyxie... la baignoire, et pourtant le père Favre se tait. Il n’a rien oublié de ses engagements, il servira jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle.
Dés qu’il est admis au parloir, entre deux flagellations, il a hâte de prévenir les associés de sa chaîne de résistance, et aussi ses informateurs, à qui l’avenir de beaucoup d’entre eux, ne tient qu’à un aveu, il les tranquillise :
Une fois on le somme de signer de fausses lettres de recommandation qui permettraient à un envoyé de la Gestapo de se présenter à Genève, en son nom, dans certains milieux officiels. Mais il refuse le porte-plume qu’on lui donne, prend un air méprisant, et tend énergiquement les bras, ce qui veut dire :
Dans sa prison, et malgré les tortures, le Père Favre continue à glaner des informations pour la Résistance. Il écrit à son patron le colonel Groussard :
Le 28ème régiment de police est parti pour la Croatie. Depuis, nous avons les hommes des 18ème et 20ème régiments de police.
Il fait passer son courrier par sa sœur, Mme Favre Marie (épouse Michaud) qui vient le voir régulièrement, et transmet billets et informations de toutes sortes, ceci au péril de sa vie.
Elle n’hésitait pas à interpeller la Gestapo, à propos de son frère. Ses visites régulières ont été vitales, pour le maintien du moral du Père Favre. En fait, il n’avait pas droit aux visites :
« S’il est mis en cellule, ce n’est pas pour lui permettre des causettes avec les gens du dehors » a-t-on répondu à sa sœur. Mais la détermination de cette dernière, et la tolérance des gardiens lui offrirent quelques facilités, surtout au début. Voici quelques extraits des billets qu’il remettait à sa sœur :
Il ne manque pas une corvée, obligatoire ou volontaire, et puis ce peut-être l’occasion d’une observation utile. Il demande ciseaux et tondeuse, dans la perspective d’un internement à Montluc.
Sa sœur, refoulée le 9 et 14 mai, revient le 16.
Heureusement, car ces visites, ces messages sont sa respiration.
A propos de ses gardiens, le Père Favre distingue toujours les soldats de la Wehrmacht et la Gestapo. Il écrit le 8 avril :
Mais les interrogatoires se durcissent, ces derniers sont menés par Kempf, chef de la Gestapo, et sa femme, une française.
Il lui arrive aussi d’interrompre leurs longues veilles, lourdes de réflexions et d’insomnies, grâce à un petit harmonica apporté par sa sœur.
Une seule fois, il supplie ses gardiens, le 8 avril 1944 : c’est pour leur arracher l’autorisation de pénétrer dans le cachot du lieutenant Bastian, du 27ème bataillon des chasseurs, dont il décrit la lente et horrible agonie dans un pli confié à un visiteur.
Vient l’époque où l’influence exercée par le Père Favre sur ses voisins, impressionne vivement ses geôliers, des Roumains, des Autrichiens qui n’ignorent rien des revers du Gd Reich, et pressentent sa désagrégation.
A Genève, les fidèles camarades de l’ancien professeur de l’Institut Florimont veulent le sauver, appuyés par les services du renseignement suisse. Le moment paraît favorable. Ils mettent au point son évasion, et fixent même l’endroit où elle aura lieu, à l’occasion d’une corvée de charbon. La complicité d’un sous-officier est acquise. Le 17 avril 1944, le Père Favre n’a plus qu’à acquiescer. Mais stupéfaction, il refuse, et répond à son camarade de lutte, Georges, qui avait tout prévu :
Pour appuyer sa décision, il ajoute :
Ainsi il refuse par un admirable scrupule, de se soustraire au sort de ses camarades. Il ne peut se résoudre à abandonner Francillon, ce postier qui interceptait les messages importants, prévenait les communes menacées par les bombes incendiaires, avisait les résistants, de leur présence sur les listes de suspects. Il ne peut laisser Millet, recruteur, et cerveau de l’armée secrète ; il suivra Curioz, brigadier des douanes qui assurait un bien dangereux service.
Le 24 avril, il confirme sa décision :
Ceux qui ont juré de le sortir de là, ne cherchent pas à l’influencer. Ils respecteront ses dernières volontés.
Le 13 juin, Kempf intervient à nouveau. Peut-être, lui glisse-t-il à nouveau dans le tuyau de l’oreille : « il n’est pas trop tard... décidez vous... »
Avec 6 condamnés, croyant leur dernière heure venue, il est conduit au bois de Balme à Cruseilles. Mais ce n’est qu’un simulacre de comédie. « Voilà ce que pourrait être votre fin si... faites vite ! »
Le 15 juin, les rescapés, sont tous passés par les armes, à l’exception d’un seul... lui.
Dans une ultime tentative, la Gestapo use de « raffinements psychologiques », voulant le persuader qu’il est l’objet de traitement de faveur. Cette mesure l’accable. Il pense à cette lugubre promenade, la dernière, dont il regrette d’être revenu, à ce nouveau délai. Enfermé finalement dans l’une des oubliettes du château d’Annecy, il prend intérieurement congé des siens, de tous ceux qui l’ayant approché, se sont attachés à lui. Il prie à haute voix, et des incrédules lui répondent. On dirait qu’il appartient déjà à un monde meilleur.
Le 13 juillet 1944, le père Frontin est relâché. Avant de quitter la prison, il demande à voir son confrère. Cette libération, apparaît au Père Favre, comme l’annonce de sa mort.